Cette nouvelle tendance de mode de financement du secteur social par des investisseurs privés est loin de faire l'unanimité et suscitent bons nombres interrogations. Analyse
Les porteurs de projets sont nombreux à être intéréssés : une association qui propose des activités physiques à des personnes âgées en maison de retraite ou une structure qui accompagne des hommes sortis de prison pour les aider à se réinsérer et leur éviter ainsi la récidive - ou en core - une entreprise coopérative prenant charge les enfants handicapés qui sont sur liste d'attente dans les établissements d'accueil...bien des porteurs de projets sont séduits (sur le papier) par le fonctionnement de ces « contrats à impact social ».
Ce tout nouvel outil de financement, tout droit venu du Royaume-Uni, a été lancé dans l'haxagone le 15.03.2016 par Martine Pinville, secrétaire d'Etat à l'Economie sociale et solidaire (ESS), par la biais d'un premier appel à projets.
Il s'agit de faire financer des programmes sociaux innovants - donc risqués - par des investisseurs privés, que l'Etat ne rembourse et ne rémunère que si les résultats convenus sont atteints.
Objectif : impliquer des acteurs financiers traditionnels (comme BNP Paribas ou la Société générale, indique-t-on au secrétariat d'Etat), au-delà des investisseurs privés qui financent déjà l'ESS, comme la finance solidaire.
Un tel mécanisme serait triplement gagnant, selon ses promoteurs : le porteur de projet (association ou entreprise sociale) y trouve un financement difficile à réunir par ailleurs, l'investisseur privé obtient un retour sur investissement en cas de réussite et la collectivité publique évite des coûts sociaux sans avoir besoin pour cela d'investir elle-même au départ et d'organiser l'action. Celle-ci doit être à but préventif et permettre des économies à terme.
Pour le moment, un certain flou règne cependant sur les conditions de mise en œuvre du dispositif. L'appel à projets n'est pas réservé aux structures qui entrent dans le champ de l'économie sociale et solidaire. Il suffit a priori de répondre à « des besoins sociaux non ou mal satisfaits, dont l'opérateur a des difficultés à assurer le financement à des conditions normales de marché ». « Le conseil supérieur de l'ESS, où toutes les familles du secteur sont représentées, n'a pas été consulté, ce que nous regrettons », souligne
Morgane Dor, conseillère technique Europe-vie associative à l'Uniopss.
Une liste de candidats potentiels a toutefois été établie sous l'égide du Mouves, le Mouvement des entrepreneurs sociaux. Et en pratique, le secrétariat d'Etat vise plutôt des structures de l'ESS, même s'il n'exclut pas d'intégrer dans le dispositif des entreprises privées classiques.
Invitation à la prudence
Ce mode de financement suscite de nombreuses critiques. A côté du discours plus militant du Collectif des associations citoyennes, l'Institut Jean-Baptiste Godin, un think tank de l'ESS, le Haut Conseil à la vie associative (HCVA) ou encore l'OCDE ont publié des notes invitant à la plus grande prudence.
L'investisseur n'est certes rémunéré qu'en cas de succès de l'opération, mais il l'est alors à des taux qui peuvent être relativement élevés, jusqu'à 13 % par an.
« Cela signifie que ce type d'action peut être nettement plus rentable pour les investisseurs privés que ce qu'ils trouvent sur les marchés », analyse Thierry Guillois, avocat et coauteur de l'avis du HCVA.
Le dispositif implique aussi un coût d'ingénierie non négligeable pour concevoir le montage juridique et financier et l'évaluation du programme est elle aussi lourde. Des coûts souvent ignorés ou sous-évalués.
Les contrats à impact social ne peuvent-ils cependant être utiles comme financement complémentaire aux financements classiques ? « Oui, à condition de porter sur des effectifs suffisamment importants pour que les coûts évités soient supérieurs aux coûts de mise en œuvre », précisent Nicolas Chochoy et Thibault Guyon, de l'Institut Godin. Ce qui exclut donc a priori les petites associations.
« Un tel dispositif ouvre la porte de l'action sociale à de gros acteurs privés, habitués à des mécanismes financiers complexes dont sont peu familiers les acteurs sociaux », ajoute Nicole Alix, coauteure de l'avis du HCVA.
Et de citer les emprunts toxiques qui ont grevé le budget des collectivités territoriales il y a quelques années, ou les partenariats public-privé.
Autre problème : celui des critères d'évaluation. « L'expérience montre qu'on a tendance à choisir les indicateurs les plus faibles possibles, de manière à ce qu'ils soient atteints », précise Nicole Alix. De plus, cette démarche pousse à privilégier des indicateurs purement quantitatifs alors que l'action sociale comporte toujours une forte dimension qualitative.
Un tel mécanisme entraîne également un écrémage : les investisseurs choisissent les projets les plus susceptibles de réussir. Et ce ne sont pas forcément ceux qui seraient les plus urgents et dont les publics sont le plus en difficulté.
S'y ajoute, enfin, un autre effet pervers : les acteurs sont incités à proposer des projets semblables à ceux déjà sélectionnés, dans l'espoir d'obtenir eux aussi un financement. C'est ce qu'on appelle l'effet de conformation.
Ce qui va « à l'encontre de la dynamique d' innovation que prétend favoriser ce nouveau dispositif», soulignent les chercheurs de l'Institut Godin.
Selon une étude de l'Etat du Maryland, les contrats à impact social seraient une mauvaise affaire pour les finances et l'action publiques.
Outre-Atlantique, le département des services législatifs de l'Etat du Maryland, qui envisageait la mise en place d'un tel programme, a publié en 2013 une étude sur un contrat au Royaume-Uni portant sur une action de prévention de la récidive pour des détenus de courte peine de la prison de Peterborough.
Les conclusions sont sans appel : les contrats à impact social coûtent plus cher aux finances publiques pour un résultat médiocre. Et mieux vaut continuer pour le Maryland à financer directement les programmes de ce type.
Au cabinet de Martine Pinville, on assure que la situation est différente en France parce que les contrats à impact social n'ont pas vocation à remplacer des actions existantes...
Un changement de logique
Les contrats à impact social participent d'une modification en profondeur de la logique de l'action publique, mais, expliquait la chercheuse
Eve Chiapello dans un article récent III « on peut vouloirde la transparence sur l'utilisation des fonds ou vouloir peser attentivement les choix de politiques publiques. Mais cela ne signifie pas que la seule approche possible soit d'adopter la posture d'un investisseur à la recherche du meilleur retour sur investissement. » Tandis que plusieurs acteurs associatifs et universitaires concluaient pour leur part dans une tribune publiée en mars dernier :
« La meilleure participation innovante du privé serait que les grands groupes multinationaux bancaires ou industriels payent les impôts dans les pays où ils réalisent leurs profits et que l'optimisation et l'évasion fiscales ne soient plus possibles ».